(Cour d’Appel de Douai, arrêt du 25 octobre 2018)

Le 18 septembre dernier, et dans le cadre de la présentation de son plan santé, Mme Buzyn, ministre éponyme a émis le voeu que les internautes usagers de l’hôpital « puissent noter et évaluer les établissements de soin » et que leurs avis soient ensuite « rendus publics » au nom d’un sain principe d’émulation. La presse a évoqué, sans doute un peu vite, la naissance d’un « Tripadvisor » des hôpitaux.

« Tripadvisor » peut-être pas, mais « Boitdepandor » sûrement. Car donner officiellement la parole aux usagers sur le délicat sujet de la qualité des soins c’est prendre le risque d’institutionnaliser un droit de critique subjectif par lequel l’hôpital serait précisément chargé de .. tous les maux de la Terre.

Les exemples sont de plus en plus fréquents de patients ou de familles de patient mécontents des soins dispensés à l’hôpital et qui investissent internet pour le faire savoir. Sur la toile, on ne parle ni des trains qui arrivent à l’heure ni des patients qui guérissent mais on parle beaucoup des accidents médicaux, réels ou supposés.

Or l’effet négatif de ce type de commentaire est incontestable, comme la perte de crédibilité pour l’hôpital que leur rémanence peut générer. Si la réputation de l’hôpital souffre – le plus souvent inutilement – c’est la communauté des soignants et des soignés qui en pâtit car ce qui unit les uns aux autres c’est d’abord un lien de confiance.

Avant donc de faire semblant d’être moderne en « ouvrant » ce droit de critique, que Mme la Ministre étudie les faits qui ont donné lieu à cet intéressant arrêt de la 1èrechambre de la Cour d’Appel de Douai, rendue le 25 octobre dernier.

Après un incontestable drame,  le décès de son épouse survenue au cours d’une chirurgie a priori bien maîtrisée, ce justiciable harcèle l’établissement de soins pour connaître les « circonstances réelles » du dossier et obtenir « la totalité du dossier médical ». Insatisfait des réponses qui lui sont faites, le même menace de mettre en ligne, puis met en ligne sur internet un site complet qui, sous couvert « d’informer le public sur ce qui se passe à l’hôpital », constitue une charge lourde contre l’établissement. Extraits (très partiels)  :

« un des pires hostos de France, classé parmi les derniers et les plus dangereux de France, recrutant du personnel sans expérience, sans mettre en place un système de contrôle de médicaments.. où des gens continuent à mourir et les victimes sont cachées sous le tapis d’un joli bling bling publicitaire »

« petite récréation avant 35 heures d’agonie : abandon de la patiente par des médecins nommément cités, un service de réanimation constituant une zone de non droit, l’administration de médicaments sans contrôle ou par punition, un chantage aux mauvais traitements, un refus de soins, une incompétence grossière, la destruction délibérée du dossier médical ou encore des traitements inhumains ou dégradants »

 L’auteur justifie son initiative en indiquant qu’il utilise son droit à la « liberté d’expression », qu’il « peut prouver » tout ce qu’il avance et que son unique souci est « d’informer et de prévenir le public ».

C’est au visa de l’article 809 du code de procédure civile que la Cour d’Appel va confirmer l’ordonnance de référé qui a imposé au webmaster de supprimer toutes les pages de son site, et ce sous astreinte de 200 euros par heure de retard, dans les 24 heures de la signification de l’ordonnance.

La Cour a considéré que constituait un trouble manifestement illicite :

– le fait de créer un moyen de pression à l’encontre du centre hospitalier au moyen de « propos infâmants »

– le fait de tenir des propos outranciers et injurieux tant pour le centre hospitalier que pour son personnel, de surcroît assortis d’accusations extrêmement graves qu’aucune enquête judiciaire n’a confirmées à ce jour et que le respect du secret médical interdisait à l’hôpital de contester publiquement

La Cour rappelle par ailleurs que le principe fondamental de la liberté d’expression et les éventuelles attaques polémiques ou satiriques qu’elle autorise « trouve ses limites dans le respect des droits d’autrui, l’expression publique de propos dénigrants, injurieux ou diffamatoires pouvant caractériser un abus répréhensible de cette liberté ».

Deux observations s’imposent.

D’abord, l’arrêt rappelle la « puissance » de l’article 809 du code de procédure civile, qui dispose : « Le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

Y compris dans cette matière délicate de la liberté d’expression, le juge du référé a « tout pouvoir » pour faire cesser un trouble qu’il juge « manifestement illicite ».  En l’espèce, cette entreprise de démolition systématique de l’hôpital justifiait tout à fait cette décision rigoureuse.

Mais voilà la seconde observation : ce même site qui, dans des termes plus mesurés, avec des accusations moins visiblement infâmantes, critiquerait néanmoins injustement ce même établissement , ce même site pourrait arguer de l’absence de trouble « manifestement illicite » et se maintenir en ligne. La puissance délétère des textes resterait la même (nul besoin d’outrance pour désinformer) alors que leur équarissage les mettrait à l’abri d’une procédure de référé ..

L’article 809 est un colosse mais ses pieds sont argileux : n’est pas manifestement illicite qui veut.

Il ne faut pas prendre à la légère le ressentiment des patients mécontents. Annoncer qu’ils pourront évaluer et noter les hôpitaux, c’est leur promettre un pouvoir de nuisance qui ne leur apportera nulle paix. Ouvrons une seconde fois la « boitdepandor » (oui je sais que ça ne s’écrit pas comme ça !).N’oublions pas qu’à la première ouverture, tous les maux sont sortis de la boîte et que seule l’Espérance – feignante ! – est restée au fond. Ouvrons à nouveau disais-je et espérons que Mme la Ministre lira cette petite chronique.